Haïti, 200 ans d'indépendance -
La prochaine célébration de l'indépendance
d'Haïti est incontestablement
un évènement majeur pour l'humanité. 200 ans d'indépendance. Ce n'est pas
tout, c'est la première république nègre à avoir lutter et gagner son
indépendance. Au prix du sang. Ce qui rend l'affaire encore plus
honorable, c'était face à l'armée de Napoléon qui défendait la puissance
colonialiste: la prétentieuse France en pleine révolution elle-même. Il
n'est point besoin d'être griot pour s'enorgueillir ou peut-être même,
pédant pour revendiquer une victoire passée. L'histoire du monde est ainsi
faite. Rome et le Judaïsme portent encore le fardeau de la crucifixion du
Christ tout comme l'histoire condamne Adam et Judas pour le péché et la
trahison. Dans cette même lignée de gloire ou de défaite, l'histoire parle
encore de l'empire impérialiste des Nippons et même de la chute de
l'empire Ottoman. L'histoire n'a pas changé, la guerre de sécession,
l'Allemagne Nazis, l'holocauste juive, Hiroshima sont des éléments
négatifs de l'histoire qui sont encore chaud dans la mémoire. La honte. Il
est tout à fait légitime pour les Haïtiens éparpillés à travers le
monde, d'éprouver un sentiment de fierté, de commémorer ce bicentenaire
symbolique pour le peuple noir. Comment ne pas se rappeler la cruauté d'un
pays comme la France qui revendiquait la révolution de 1789 alors qu'elle
usurpait les biens, après le sang des noirs de St. Domingue. Après le
sang, nous avons dû payer à prix d'or, notre indépendance, au mépris de
tous les autres inconséquents amis d'Haïti. Ils se sont fait complices. Cette
génération ne devraient sous aucun prétexte, laisser passer une pareille
occasion. L'occasion de rappeler au monde entier que la France
d'aujourd'hui doit aux Haïtiens. Plus que de l'argent, du sang. ..
.
C'est une revendication qui nous met aussi, face à une situation
haïtienne où le mot constat revendique toute sa place.
Les différentes épopées doivent être interrogées. Un bilan s'impose ! Réjouissance pour les uns, scandale pour les autres.
L'évènement marquera
certainement la vie de plusieurs. Des centaines de milliers de jeunes nés de parents
haïtiens qui vivent en dehors du pays. Ils auront aussi l'occasion de s'interroger. Ce sera pour plus d'un, l'occasion d'un choix.
Un choix d'identité.
S'interroger sur la question existentielle. Avant de regarder le maux provoqués
par l'extérieur, tant dénoncés, il serait bon de faire une rétrospection.
Se demander qui
nous sommes réellement. C'est pour les générations de trente ans et plus,
un devoir face aux générations subséquentes. Que représente 1804 pour les
Haïtiens, alors qu'un nombre équivalant à plus de 1/5 de la
population vit à l'extérieur du pays. S'il sont sans projet de retour,
ceux de l'intérieur n'attendent que l'occasion idéale pour s'évader. La
déportation forcée aurait aussi son revers de médaille. Le chemin de
l'évasion malgré l'indépendance acquise : à qui profite le crime ?
Certaines cultures auraient
dit qu'un mauvais sors nous a été jeté. Le déficit social est immense,
les conséquences encore plus. Si les premières heures de la république,
d'après l'histoire officielle, rendent hommage à la libération de
l'esclavage, les 200 ans d'indépendance n'honorent pas ce statut.
Pourtant le monde moderne se concerte pour étudier la révolution
haïtienne. D'autres, par contre, plus guerriers ou politiciens, accuseront
la France de tous les maux du pays. Mais, qu'en est-il réellement? La
culture haïtienne pourrait-elle en répondre ?
La langue. La plus
importante identité commune
aux haïtiens est aujourd'hui encore la langue. Le créole. C'est un facteur de
reconnaissance universelle qui identifie les peuples du monde entier. Des
traits de caractères collectifs ont souvent démontré un signe
d'appartenance très puissant. On parle des traits de caractère des Saxons,
des Nippons, des Latins ... etc. Le Québec vient de faire une fleur à ses
Haïtiens. Une publicité pour un produit fruité qui fait appel à la nature
créole hormis la langue. Les Haïtiens sont pour la grande majorité,
identifiés au Créole. Tout laisse à croire que c'est une façon d'être
aussi. Quand on compare. Les Québécois expliquent que leur identité et
leur indépendance passent par leur langue: le Français. Et, surtout les
Nippons qui ont réussi leur révolution dans ce domaine. Qu'en est-il de
nous autres Haïtiens ? Plusieurs universités nord
américaine, l'université de Montréal, l'Alberta étudient le Créole
haïtien. Des universitaires haïtiens ont entrepris la rédaction d'une
grammaire créole. On retrouve plus d'un dictionnaire créole. L'Afrique
noire connaît le créole haïtien. Le métro de New York, un axe de transport
reconnu à travers le monde, affiche en créole. Pourtant une grande majorité d'Haïtien conteste l'initiative de faire du
Créole une langue officielle et d'enseignement en Haïti. Ce qu'on pourrait
appeler la réforme Bernard (79) - ancien ministre de Duvalier fils - éprouve
encore beaucoup de difficultés chez ses pairs, tandis que les Arabes du Marché du
Nord à Montréal connaissent le créole, c'est une langue d'affaire pour
eux. C'est même un signe de distinction entre les Noirs de Montréal. Les Italiens de St. Léonard à Montréal jurent en Créole, ceux de la
rue St. Hubert lancent des jurons en créole. Parallèlement, la plupart des Haïtiens instruits
tiennent malheureusement leurs enfants à l'écart du fait créole. On essaie
de s'aligner sur le fait parisien.
Personnellement, je parle le créole avec toutes les nuances et toute sa
saveur, mais je ne saurais lire ni écrire avec autant
de facilité. C'est le cas de la grande majorité des Haïtiens. Qu'est-ce qui fait donc l'identité haïtienne ?
La majorité. Depuis plusieurs décennies, le
problème de couleur est revenu hanter la société haïtienne déjà déchiré
par l'émigration et les maux politiques. La question de l'épiderme divise encore plus que celui de la
politique. La nuance de la couleur est encore en train d'aligner subtilement les
Haïtiens sur deux rives irréconciliables. Les teints clairs et les teints
foncés. Un problème qui remonte à la genèse même de la république. La
cellule familiale était atteinte et n'en était pas guérie. C'est pourtant
la politique qui est en train de réveiller ce vieux démon. Cette nuance a
trop souvent été à l'origine de préférences qui ont déchiré des familles
et par extension, le tissus social. Cependant, due à l'héritage colonial, la
minorité au teint clair a toujours été favorisée par rapport à la majorité
noire. Si on ne peut évoquer un apartheid systématique, le problème
est devenu tout aussi alarmant que la réconciliation urgente.
Un autre problème social. La
pauvreté, l'analphabétisme, l'ignorance sont des facteurs tous aussi
importants que la couleur de l'épiderme dans le déséquilibre social. Ces
carences ont soumis une grande majorité de paysans et de démunis à
l'exploitation et à des châtiments jugés très inhumains dans les sociétés
modernes. C'est un problème qui cultive la division et la méfiance au
point de devenir une menace tant pour la stabilité et l'émancipation des
citoyens. Et, c'est une bombe à retardement qui n'honore pas l'acte de
1804 ni les revendications internationales face aux anciennes institutions
colonialistes. Mieux, la France en ce qui nous concerne.
La politique. Depuis les temps
de Dessalines, la politique n'a jamais été un sujet de fierté pour les
nouveaux libres. Plus qu'un domaine de vision et de projection, la
politique a toujours été un sujet de pouvoir et de domination. Malgré la
pseudo libération de 1986 avec la chute du dictateur Duvalier, la
politique n'a pas encore été exorcisée. L'arrivée de Aristide, si elle
promettait, elle est une fois de plus, déceptions et chimères. Elle n'a réellement
fait école que dans la corruption et dans l'autocratie. 2004 ne verra
aucun autre héritage. Aucune nouvelle pensée politique n'a pu surgir, se fertiliser que
dire de produire. Nous sommes à nous interroger si 1804 était simplement
une grande révolte ou le fruit d'une véritable révolution.
L'urgence de la situation nous
force vers un passage obligé: une redéfinition. Si la liberté s'est
estompée dans les décades qui ont suivi la libération, il nous reste
pourtant des choses qui font l'envie de plus d'un. Une histoire, la
langue, l'acte d'indépendance, la primauté et la fierté du mouvement de la
libération des nègres. Un pays. Il nous faut rebâtir la nation ou en bâtir
une véritable. Le président en exercice réclame à la France, les
indemnités plus que centenaires, imposées injustement. A-t-il le pouvoir moral de le faire ?
Comment l'accompagner sans cautionner sa politique destructrice? La
communauté haïtienne internationale fait-elle partie du projet ? Et, tant
d'autres interrogations encore. À notre avis, ce sont les armes de la
culture, qui devront avoir droit de cité dans cette nouvelle
république. Dira-t-on un jour, avec fierté, que nous en avons une. Ce
serait déjà l'essentiel ! Int
(8 juin 2003)
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